Dimanche matin, sur les coups de minuit. A peine les cloches ont-elles fini de sonner que Georges Chanez s’écrie à l’attention d’une cinquantaine de personnes réunies devant la Maison des Œuvres: «Sur place, au premier de Surrexit Christus hodie, marche!» Elles s’exécutent et entonnent le célèbre chant grégorien annonçant la résurrection du Christ, accompagnées par la douceur des cuivres.

Eclairés par la lueur des flambeaux, les participants alternent les cantiques, faisant résonner les couplets d’O filii et filiae. Parvenus à la chapelle du couvent des dominicaines, ils reprennent en chœur ceux du Regina Coeli en présence des sœurs. Dans cet élan, la procession avance vers le cimetière, où il est temps de se recueillir sur la tombe du dernier bourgeois enseveli d’Estavayer, avant de serpenter à travers les ruelles jusqu’à la porte de Thiolleyres.

Une coutume staviacoise immémoriale
Le cortège, aussi singulier soit-il, ne laisse pas les riverains indifférents. Tandis que les habitants de la Vieille-Ville écartent leurs rideaux pour observer la scène, les fêtards des guinguettes voisines suspendent un instant leurs conversations. «Ah tiens, voilà le Surrexit», lance un passant en filmant le défilé.

Celui-ci n’a pas l’air surpris et à raison, comme le soutient Georges Chanez, organisateur de la procession. «Il s’agit d’une tradition religieuse qui tient au cœur des Staviacois.» S’il lui reconnaît un caractère populaire, le retraité s’avoue toutefois emprunté au moment de retracer son origine. «Nous parlons ici d’une pratique immémoriale, dont presque personne ne connaît réellement les racines exactes.»

La première mention connue de cette coutume date de 1637. Elle figure dans le Grand livre historique de la paroisse d’Estavayer-le-Lac qui évoque une rétribution accordée aux écoliers participant à l’événement. Une référence à première vue anecdotique, mais qui atteste de l’ancienneté d’une coutume religieuse portée depuis des années par des laïcs.

Formule séculaire restée inchangée
Le Surrexit a traversé les siècles en conservant sa formule, forgée d’abord sur la spontanéité. Nul besoin de répétitions pour intégrer ce chœur d’un soir. Une simple annonce dans la presse locale suffit, libre à chacun de venir. «Chaque année, nous réunissons entre 20 et 50 personnes, cela varie selon les conditions météorologiques. Nous sommes même plus nombreux lors des jours de pluie», s’amuse Georges Chanez.

Si la procession est ouverte au plus grand nombre, seules deux conditions restent incontournables: être chrétien et, surtout, être un homme. Une exigence masculine qui ne semble pas près d’évoluer. «Cet aspect fait partie de la tradition et il trouve son pendant historique, admet le retraité. Ces chants étaient à l’origine l’apanage des chœurs d’hommes.»

Si la tradition est résolument masculine, elle n’en demeure pas moins conviviale. Le parcours se conclut toujours par un moment d’échange et de partage, ponctué par le service de la traditionnelle choucroute marquant la fin de la longue période de carême. «A l’époque, les participants amenaient du saucisson ou du lard pour lancer dignement les festivités pascales. Plusieurs dires racontent même que certains mangeaient avant de chanter», sourit Georges Chanez.

Un savant mélange de générations
C’est en cela que réside tout l’esprit du Surrexit: une tradition qui épouse à la fois religion et convivialité festive, capable de séduire bien au-delà du cercle des pratiquants habituels. «Cette coutume a évidemment une dimension religieuse, mais elle représente surtout une tradition propre à notre commune», admet Steve Pillonel, avant d’ajouter: «J’y ai participé la première fois avec des membres de ma famille. Il était logique de passer le témoin, en accompagnant aujourd’hui mes neveux.»

La démarche n’a évidemment rien d’anodin. Elle explique en partie le succès séculaire de cette tradition qui intrigue encore les jeunes générations. Ainsi, pour Maxime Pochon, 22 ans, l’événement représente une forme de prière pour le moins singulière. «La procession est sérieuse, mais nous pouvons aussi discuter dans les rangs lors des moments plus calmes. A la fin, nous faisons de nouvelles rencontres. Cela change de mes habitudes religieuses.»

Des amitiés naissent même de cet événement, à en croire d’autres participants. Cela n’est donc pas un hasard si la nuit du Samedi saint au dimanche de Pâques est soigneusement surlignée dans l’agenda de certains.

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Une procession qui fait des émules

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