«Le soir même, j’ai signé un contrat avec le manager de PolyGram», se rappelle Daniela Simmons, lors de l’entretien accordé à La Broye Hebdo, sur la terrasse d’un restaurant avenchois.

Nous sommes en 1985, la chanteuse italo-suisse participe pour la deuxième fois à la présélection suisse du Concours Eurovision de la chanson. Etudiante au Conservatoire de musique de Lausanne, elle se place à la 2e place avec Repars à zéro, une autocomposition moderne, dynamique, rock, loin de la tendance conservatrice du concours de cette époque. Si elle n’a pas remporté la victoire, Daniela Simmons a été repérée, une nouvelle aventure se dessine: elle participera l’année d’après à la finale de l’Eurovision.

Quelques mois plus tard, elle rencontre Atilla Sereftug au sein de la maison de disques. «Je n’ai pas enlevé mes lunettes noires, j’étais intimidée. Mais il était très élégant dans son pull rose», se souvient Daniela Simmons. «Elle a joué quelques notes au piano, c’était suffisant pour moi, j’étais admiratif. J’ai ensuite composé sur mesure la musique de la chanson, piano-voix, intitulée Pas pour moi», explique le compositeur et producteur turco-suisse, assis à ses côtés, et qui deviendra son mari en 1991. «J’avais trois minutes pour convaincre les membres du jury pour qu’ils lui attribuent les fameux 12 points», raconte Atilla Sereftug, convaincu que ce titre figurerait dans les trois premiers. Le texte a été écrit par Nella Martinetti.

En route pour la Norvège
Habillée par le couturier André Courrèges, qui s’est inspiré d’une création de la maman de Daniela Simmons pour réaliser la tenue de soirée, la représentante de la Suisse est la favorite du concours qui s’est déroulé à Bergen en 1986. Mais c’était sans compter sur la concurrente belge, âgée de 13 ans, Sandra Kim qui remporta cette édition, Daniela Simmons devant se contenter de la 2e place. «On m’a dit que j’étais la gagnante chez les adultes» lui ont dit plusieurs personnes en guise de consolation. Le règlement a d’ailleurs changé en 1990, imposant un âge minimum de 16 ans.

Cette place d’honneur a tout de même ouvert des portes. «Il y a eu des tournées en Europe mais aussi dans le monde entier. J’ai enregistré Pas pour moi en quatre langues différentes (ndlr allemand, anglais et néerlandais).» L’artiste a ensuite enchaîné avec un album en anglais dans un style rock et R’n’B, sa musique de cœur. «Je voulais sortir du style Eurovision», explique la musicienne qui aujourd’hui excelle notamment dans le jazz avec son groupe Medijazz.

Un oiseau comme aide
Si Daniela Simmons avait gagné l’Eurovision, Atilla Sereftug aurait-il composé une nouvelle chanson pour ce concours? Rien n’est moins sûr, mais l’histoire en a décidé ainsi. «On m’a demandé d’écouter des CD d’artistes en vue d’une chanson pour l’édition 1988. J’avais aimé celui de Céline Dion, mais qui était inaccessible selon mon manager», se souvient Atilla Sereftug. C’est ne pas connaître le compositeur qui écrit Ne partez pas sans moi avec la ferme intention que l’artiste québécoise interprète ce titre sur mesure. «Je l’ai composé en 12 minutes, le chant d’un oiseau m’a inspiré.» Pour cette chanson aussi, c’est Nella Martinetti qui écrit les paroles.

Douze jours plus tard, Atilla Serftug est à Montréal, avec Céline Dion et son manager René Angélil. Le temps est court pour s’inscrire à la présélection suisse. Les premiers essais sont concluants. «Ils ont accepté de participer à l’Eurovision.» La chanson se qualifie pour la finale qui a lieu à Dublin et remporte au bout du suspens, pour un seul point d’écart, la 33e édition. C’est le début de la carrière de Céline Dion sur le plan international. «La maison de disques Sony a investi deux fois un million pour ses débuts», relève Atilla Sereftug qui souligne que le titre Pas pour moi de son épouse est plus écouté que Ne partez pas sans moi de Céline Dion.

L’Eurovision en Helvétie
C’est depuis la Broye que le couple vivra la finale de l’Eurovision samedi 17 mai. «Nous nous rendrons à Bâle durant la semaine, lors de l’une des demi-finales.» La Fribourgeoise Zoë Më représentera la Suisse avec le titre Voyage écrit entièrement en français. La dernière fois qu’une chanson dans la langue de Molière gagna, ce fut en 1988, grâce à une certaine Céline Dion. «C’est une chanson intime et originale, j’espère qu’elle sera appréciée à sa juste valeur», relève Daniela Simmons.

La belle époque
L’artiste broyarde estime qu’elle fait partie des privilégiés de la «belle époque de l’Eurovision». «Nous étions une génération dont les chansons duraient dans le temps, c’était une plate-forme médiatique importante. Aujourd’hui, le visuel a pris le dessus. Souvent les artistes doivent venir avec des revendications pour pouvoir être identifiés. Cela doit être compliqué pour eux de se démarquer, la concurrence est plus intense», constate la Broyarde. Elle souligne que le don artistique n’est pas donné à tout le monde. «Vivre de la musique est un privilège comme pouvoir créer jusqu’au dernier moment de sa vie», reconnaît Daniela Simmons qui, comme son mari, continue à vivre pour la musique. Avec de beaux projets à la clé, entre autres dans la composition instrumentale pour des films.

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